Bonjour, dis-je en relevant la tête, et comme d’habitude je jette un coup d’œil sur la petite horloge de mon poste. Je le sais, quand la femme de ménage pointe le bout de son nez, comme on dit, ça sent bon.
Bonjour. Vous allez bien ? fait-elle en retour.
Bonjour, lui répond Josiane derrière le bureau en face du mien, fouillant dans les papiers devant elle d’une main et lui tendant l’autre. Euh ben non, je croyais qu’il y avait quelque chose mais y’a rien de spécial aujourd’hui.
Bon, ben comme ça c’est parfait, dit la femme de ménage. Elle va jusqu’au tableau des clés, prend celle de la salle de réunion du quatrième et ressort.
Dix minutes plus tard, je me lève. Je range un peu les dossiers sur mon bureau en adressant un sourire à Josiane qui me le retourne. Je mets la main sur mon manteau. Bon, je suis parti, je fais. Enfin, j’attrape dans le cendrier mon trousseau de clés. Bon week-end.
Ouais, bon week, répond Josiane. A lundi.
Oui. Bon week-end. Cette fois, c’est un peu plus fort que je le dis et la tête tournée vers les deux autres bureaux dans le fond de la pièce, mais leurs occupants, les yeux sur leurs écrans respectifs, absorbés ou faisant semblant de l’être, ne répondent rien.
Je prends la direction de la sortie. Je laisse la porte se refermer toute seule, et à grandes enjambées, je vais vers les ascenseurs.
Ayant appuyé sur les boutons d’appel, j’attends en regardant par la fenêtre qu’un des deux veuille bien se présenter.
J’ai comme une absence et tout d’abord je ne sais pas pourquoi je me suis mis à penser à Marie-Claire, une des collègues du service dans lequel je travaillais il n’y a pas si longtemps encore. Mais je connais le courant logique de ma pensée et bien sûr je retrouve facilement comment ça se fait. Elle ne peut pas souffrir Josiane. Je déjeune souvent avec Marie-Claire et à ces moments-là, il y a deux oreilles qui doivent siffler.
On dirait qu’il fallait que les portes s’ouvrent pour que je m’en aperçoive. Je soupire. Je me tâte les poches par acquis de conscience, même si je sais que c’est inutile.
Merde, je dis tout haut avec une grimace, puis je me décide à contrecœur à revenir sur mes pas.
J’appuie sur la poignée et pousse d’un rien la porte quand le fait d’entendre une voix m’arrête. C’est celle de Josiane.
Je peux plus le voir ! Vraiment, hein, qu’est-ce qu’il peut m’énerver !
A cet instant précis, je suis incapable de dire la raison qui me retient de pousser la porte et d’entrer. C’est peut-être tout simplement le fait que ce sont des paroles que je ne suis pas sensé entendre, que je suis là à voler pour ainsi dire …
Pourtant ça n’fait pas si longtemps qu’il est là. Enfin, tu vois bien comment il est, tous ses chichis, incapable de faire la plus petite chose sans le dire avant.
Je suis immobile, la main sur la poignée de la porte.
Bon, je vais récupérer la clé et descendre au premier, bon, je vais chercher le dossier, il doit être dans mon tiroir … c’est pas vrai ce que je dis ? Ah et puis alors ! mon Dieu, ce qu’il peut puer de la gueule !
J’entends des pas dans le couloir. Je referme la porte du plus doucement qu’il m’est possible. Un simple réflexe, sans aucun doute. Pour autant, je ne peux pas être sûr que ça ne s’est pas entendu à l’intérieur du bureau. J’attends mais je ne peux pas attendre beaucoup plus longtemps ; j’entends une porte de toilettes. Je me décide. Je prends une bonne inspiration, deux secondes, puis j’ouvre en grand.
Je fixe un instant le visage décomposé de Josiane. Au premier bureau sur la droite, je distingue un reste de rire sur les lèvres de son occupant.
J’ai oublié mes yeux, je fais.
Rapidement, je rejoins mon bureau, récupère mon étui à lunettes et le glisse dans la poche intérieure de mon manteau. Et sans plus de cérémonie …
C’est la première fois depuis longtemps que je ne mets pas la radio pour rentrer chez moi. Quand je m’aperçois du silence, je suis à quelques centaines de mètres de la maison, j’arrête mon geste en direction du bouton.
Ah, putain de merde, fait chier, je me mets à gueuler quand j’arrive. Je me gare le long du trottoir et descend ouvrir le portail. Quand c’est fait, j’avance dans l’allée, le nez de la Fiat touchant quasiment la porte du garage.
Je vais attendre, voilà ce que je dis à haute voix. Je vais me …
Soudain, c’est comme si j’entendais la voix de Josiane et je m’arrête. Après quelques secondes, je secoue la tête et continue en fin de compte. Je vais attendre un peu et après je rentrerai.
Je la trouve dans la cuisine, et je reste un moment à l’observer du cadre de la porte où je me suis appuyé. Bonsoir, qu’est-ce qui se passe ? je demande au moment où elle s’aperçoit de ma présence.
Ah salut. J’ai invité Laurence et Sylvain à prendre l’apéritif. Et après, ils resteront manger.
Pouh !
Ben, quoi ?!
Je ne dis rien jusqu’à ce que Catherine ait levé les yeux des tomates cerises qu’elle coupe en deux pour les poser sur moi. Et moi ? Tu sais, j’ai un portable, et aussi un téléphone au travail ?
Oui, ben, ça va hein !
Je secoue la tête d’un air de dégoût. Puis je ferme les yeux. Je ne les ferme pas longtemps pourtant, une seconde tout au plus, mais quand je les rouvre, Catherine a déjà reprit sa tâche. Pour elle, de toute évidence, la discussion est close. Je veux ajouter quelque chose, puis je me dis que ça ne va rien changer. C’est trop tard maintenant pour décommander Sylvain et Laurence. Et je veux poser une autre question aussi concernant la présence de leur fils Mickaël, mais je m’abstiens. Je ne fais que soupirer. En quittant la cuisine, je vois Catherine qui relève la tête un instant et hausse les épaules.
Au salon, il y a une enveloppe sur la table basse. Je ne fais que jeter un œil à l’expéditeur et je la repose. J’entre dans le garage, et lorsque je vois ce que je vois, les bras m’en tombent. J’avais complètement oublié tout ce matériel de maçonnerie. Je l’ai laissé là en plein milieu dimanche dernier, c’est vrai. Merde. J’avais dans l’idée de rentrer ma voiture, mais si je veux pouvoir le faire, il va falloir que j’enlève ça.
Je reste longtemps le regard perdu sur tout ce bordel. Je souffle. Puis je pense à ce que Catherine me dirait si elle était à mes côtés, me voyait souffler. Je vérifie que je ne l’ai pas posée quelque part, que j’ai bien toujours la clé de ma voiture dans la poche de mon jean.
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