Si on avait pris la décision d’y aller, il fallait, de l’arrière de la maison, prendre le sentier qui fendait en diagonale le parc à moutons divisé en parcelles. Cinq minutes et on tombait, au bout de celui-ci, à l’orée d’un bois où entre deux racines d’un chêne, attendait un vieux ballon.
Nicolas avait quelques fois questionné ses parents. Mais il abandonnait rapidement. Ils ne lui fournissaient que peu de renseignements et aucun d’eux n’était chevaleresque.
Il appartenait à l’agriculteur dont la ferme le jouxtait. Aux yeux de Nicolas, ça l’entourait d’un certain prestige : il n’était pas un simple paysan, comme son père et tous les autres alentours, il était propriétaire d’un château ! A bien l’observer, il lui trouvait quelques manières de châtelain et puis même, sa ferme n’avait aucune commune mesure avec celle de ses parents. Il avait beaucoup plus de vaches qu’eux mais encore d’immenses porcheries que le car scolaire longeait matin et soir. Une réflexion de sa mère confirma. Dans l’ancien temps, la mère de cet agriculteur sortait en voiture tirée par deux chevaux. Elle arborait un air supérieur, dont son fils avait d’ailleurs un peu hérité, lorsqu’elle croisait ceux qu’elle considérait comme le petit peuple.
Après quelques instants d’hésitation, il escalada les barbelés et passa dans le champ. Il se mit à flâner entre la rangée de troncs sans vie d’avoir servis contre les démangeaisons des bovins. Justement, il vérifia encore une fois que le champ était bien libre de vaches. Il traversa rapidement jusqu’à la clôture du bas et la franchit aussitôt.
Jusque là, on pouvait encore dire qu’il n’avait rien fait. Mais un pas de plus et ce ne serait plus vrai. Face à lui, s’étendait un bois fourni qui descendait à pic jusqu’à la pelouse du château.
Son premier pas le fit glisser jusqu’à un tronc, refuge qui lui permit de calculer un chemin. Mais quand il se lança, il fut obligé d’improviser un zig-zag en fonction des différents obstacles, troncs, arbustes, branches tombées au sol, ronces et finalement il atterrit en bas.
Nicolas avait l’arrière de la bâtisse sous les yeux. Il resta longtemps immobile à l’endroit même où sa descente l’avait mené, les pieds enfoncés dans un tapis d’aiguilles de sapins.
Il se doutait bien qu’il ne découvrirait pas un château de cinéma, ni rien non plus de la Tour de Bridiers, seul vestige encore debout du château du même nom. Mais ce qu’il voyait était un bâtiment, certes grand, mais tout en longueur, posé triste au milieu d’un parc. Il comprit rapidement qu’il ne pourrait rien voir de l’intérieur de ce côté-ci. Les seules fenêtres étaient beaucoup trop élevées pour qu’un homme puisse les atteindre, a fortiori un enfant. Il avait compris aussi au premier regard qu’il ne pourrait rien en faire. Cela ne deviendrait jamais un de ses terrains de jeu.
Il se mit à faire les cent pas, jetant un œil sur le devant. Là-bas, derrière la haie, des voitures passaient par intermittence. Leurs conducteurs, leurs passagers, comme il le faisait souvent dans le car scolaire pouvaient tourner la tête et par une trouée, espérer voir un peu du parc et de la façade. Son envie fut plus grande que son appréhension.
Il ne courra pas, il marcha normalement. Il gravit les quelques marches humides pour parvenir sur l’imposant perron, qu’il traversa les yeux rivés sur la grande baie vitrée qui dévoilait une salle vide. Après deux ou trois allers-retours, il fit une pause derrière un des bosquets qui encadraient la façade.
Une immense tristesse s’était emparée de lui. Bien sûr, il y avait la déception, mais la tristesse, d’où venait-elle ? Venait-elle des fantômes ? Parce qu’il imaginait une famille aristocrate attablée par un somptueux après-midi, devisant de choses et d’autres, de l’état de leur propriété ou du pays comme il allait, ou de tel métayer, que la maîtresse de maison considérait comme une brute épaisse mais que le maître défendait comme un travailleur courageux, courage qu’ils accordaient tous les deux à la femme du métayer. Nicolas ne savait pas. Peut-être avait-il lu cela dans quelque livre et le déposait-il à l’intérieur de cette grande pièce vide, la seule qu’il pût voir.
Et il n’y avait rien d’autre. Il aurait beau arpenter en long et en large ce perron, coller son visage au carreau de cette baie vitrée, il ne verrait, n’apprendrait rien de plus. Il revint sur l’arrière du bâtiment.
Une écurie n’avait, en premier lieu pas retenue son attention, il y pénétra. On aurait dit que, quels qu’aient pu être les animaux, moutons, chèvres, que l’on abritait là, ils venaient juste d’en sortir. Il y avait encore une fine couche de foin, les auges étaient vides mais les chaînes traînaient par terre, entortillées. Cette écurie devait faire la moitié de la surface de la bergerie, pourtant petite, de ses parents.
Les premières gouttes d’une nouvelle averse se mirent à tomber. Il retourna aux sapins et chercha le meilleur endroit pour attaquer sa remontée.
Commentaires récents