C’était un sacré pied qu’elle me rejoigne devant le magasin à l’heure de la pause.
Elle et moi, c’était loin d’être une évidence. Plutôt le contraire : une anomalie. Il y a de nombreux cas, je n’arrête pas d’en voir, qui sont des évidences. Deux personnes qui semblent faites l’une pour l’autre. Qui, quand on les observe, on ne peut s’empêcher de se dire qu’ils sont ensemble parce que ça ne peut pas être autrement.
Mais elle et moi – non, ce n’était pas ça. Alors, qu’est-ce que c’était ? Une rencontre due au hasard, dans une fête à laquelle nous avions participés tous les deux. Des amis d’amis, ce genre-là et peu importe en fait. On était ensemble depuis quelques mois et tout marchait bien et j’étais très fier d’elle et d’être son compagnon, celui qui la faisait rire, tellement qu’elle appuyait parfois sa tête sur mon épaule, tellement que mes collègues là-bas sur le banc se retournaient souvent et nous jetaient des regards où moi, je ne voyais que l’envie.
Leur rencontre eut lieu à la faveur d’un bête changement d’horaires. Elle ne me trouva pas et alla donc se renseigner auprès du groupe de mes collègues sur le banc dans lequel se trouvait Martin. Et mon Dieu, ça ne mit pas longtemps. Je fus d’abord largué rapidement – pas par sms, mais en un geste, un battement de cils peut-être – et chacun rentra chez soi. Nous n’habitions pas ensemble, alors ce fut simple. Ce fut terrible comme ce fut simple. Et puis, je les découvris peu de temps après un jour que j’étais en vacances et venais acheter quelque chose. Ils étaient à l’endroit exact où elle et moi étions quand elle venait pendant mes pauses. Elle lui souriait et rapidement elle passa ses bras autour de la taille de Martin et l’embrassa. Pourquoi une partie de moi n’était pas surprise ? Je pensais avec dégoût qu’avec lui elle venait d’un coup de changer de catégorie, passant dans celle des couples évidents.
Lorsque je revins travailler, je modifiais immédiatement deux choses : je pris désormais toutes mes pauses dans la salle à l’étage, m’asseyant dans un coin du canapé et je ne parlais plus que rarement à mes collègues et bien entendu plus du tout à Martin et à ceux qui avaient l’habitude d’aller sur le banc.
Il y a quelques jours, Martin a été mis à pied à titre conservatoire. En fin de matinée, il a été convoqué dans le bureau du directeur et ça s’est mal passé, il s’est énervé. Martin, je l’avais déjà remarqué, est quelqu’un de très nerveux et je crois que toutes les boissons énergisantes qu’il enfile n’arrangent rien. Après son entrevue avec le directeur, il n’est pas redescendu travailler, il est rentré chez lui tout de suite. Mise à pied à titre conservatoire, on sait tous ce que ça veut dire. Aujourd’hui, il n’est toujours pas revenu, et il ne reviendra pas. Ses collègues peuvent toujours essayer de le défendre, ça ne changera rien, ça s’est mal passé dans le bureau du directeur, il s’est énervé.
Avec moi, les choses se tasseront d’elles-mêmes. Je fais bien mon travail, c’est tout ce qui compte et on oublie vite les gens de toute façon.
Ce matin-là, ils ont visionné la vidéo. Tout ce qu’ils ont pu voir, c’est Martin qui devient menaçant à mon encontre et jette dans ma direction un portable qui rebondit sur mon torse puis tombe par terre. Moi qui le ramasse et m’en vais. Calmement.
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